Les 29 et 30 octobre 2019, l’Espace numérique ouvert de Dakar a abrité la première édition du Dakar LegalTech Forum, événement international qui a réuni des experts nationaux et internationaux du droit et du numérique. Durant deux jours, ces experts, aidés en cela par un public passionné et averti ont mené des échanges de haute facture sur les problématiques liées à la Legaltech.
Cérémonie officielle d’ouverture et conférence inaugurale
Présidée par le Professeur Olivier SAGNA, Directeur des Etudes et du Partenariat à la Direction Générale de l’Enseignement supérieur (DGES), représentant le Ministre de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), le Docteur Cheikh Oumar Anne, la cérémonie d’ouverture officielle du forum a constitué un moment important pour les intervenants, de rappeler le contexte, les enjeux, les défis et perspectives de l’événement mais aussi de la Legaltech .
C’était l’occasion pour le Professeur Jean-Louis CORREA, Responsable du Pôle Sciences économiques, juridiques et de l’Administration (SEJA) à l’UVS, et par ailleurs Président du comité d’organisation, de se réjouir de la présence de ses homologues venus de plusieurs pays africains, de Seraphin.Legal et Legaltech Africa, co-organisateurs du forum. Selon lui, la mise à profit de l’informatique au service du droit doit être de mise pour permettre aux experts de gagner en temps et en efficacité en Afrique.
Et le Professeur Moussa LO, Coordonnateur de l’UVS, de souligner le souhait de l’Institution de renforcer le leadership du Sénégal dans un secteur en pleine expansion. En accueillant cette manifestation qui se tient pour la première fois au Sénégal, poursuit-il, l’UVS satisfait l’un des objectifs que l’Etat lui a assigné, à savoir permettre une meilleure appropriation des TIC par toutes les catégories sociales du pays.
A sa suite, le Professeur Olivier SAGNA, après avoir rappelé l’importance du numérique dans le Plan Sénégal Emergent (PSE), cadre de référence des politiques publiques, affirmera que les citoyens et les professionnels du droit font de plus en plus face à des difficultés liées à l’inclusion des technologies dans leurs activités quotidiennes. En ce sens, il ajoute que la Legaltech répond à de nouvelles exigences, de nouveaux services, d’où le besoin de nouvelles compétences.
Durant sa conférence inaugurale, le Professeur Abdoullah CISSE s’est réjoui des avancées considérables de la Tech au Sénégal, non sans mettre en relief les difficultés de ce secteur et proposer des pistes de solutions. Selon lui, beaucoup de préjugés entourent la question de la Legaltech, et les acteurs doivent se conformer aux évolutions de leur discipline, au lieu d’avoir d’un côté des juristes classiques et de l’autre des « hyper juristes ».
En marge de la cérémonie officielle, l’UVS et Seraphin.Legal, co-organisatrices de l’événement, ont procédé à une signature de convention de partenariat. Les deux organisations ayant en commun le numérique, se sont engagées à travers cette convention, à construire une collaboration scientifique et pédagogique portant sur le développement d’une offre de formation certifiante. Dans le même ordre, l’UVS et Seraphin.Legal entendent mettre en place un comité scientifique, avec pour mission d’assurer un suivi de la mise en œuvre des termes de la convention, dans leurs différentes déclinaisons.
Droit et TIC : problématiques, enjeux, défis et perspectives
La conférence a permis de camper le débat sur les problématiques du droit et du numérique. A la suite du Professeur CISSE, trois panels particulièrement animés par les intervenants et les échanges avec le public se sont déroulés le premier jour du Forum.
C’est ainsi, que sur la question relative à la transformation digitale du monde juridique en Afrique, Monsieur Papa Talla FALL, agrégé en droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) a rappelé que tous les secteurs d’activités ont subi cette évolution numérique. Selon lui, il faut prendre en compte toutes les dimensions dans ce processus de mutation avant d’ajouter, que lorsqu’on parle de la transformation digitale, il s’agit d’abord d’un aspect stratégique. Cependant, au-delà de cet aspect, il y a la gestion des risques à prendre en compte.
Toujours sur ce thème, de nombreux enjeux ont été relevés. Il s’agit entre autres d’enjeux d’ordres stratégiques, (avec la possibilité pour les entreprises d’anticiper sur les évolutions), socioéconomiques, environnementaux, juridiques et sécuritaires.
Abordant le panel portant sur le développement de l’entreprenariat digital en Afrique, les experts ont partagé leurs expériences en tant qu’entrepreneurs, tout en mettant l’accent sur les atouts et les faiblesses. Si l’environnement numérique en Afrique regorge de compétences hors pairs, il n’en est pas de même pour la disponibilité et la qualité des infrastructures. En effet, le continent gagnerait à s’améliorer sur ces aspects, au risque de voir ses compétences migrer vers des contrées qui offrent de meilleures conditions à l’éclosion de leurs talents.
Ainsi, d’autres défis subsistent encore, notamment sur la sécurisation des actifs immatériels. En effet, les experts sont unanimes quant à la difficulté de faire comprendre la notion de propriété intellectuelle en Afrique. La conception africaine des paradigmes de propriété intellectuelle est en inadéquation avec les croyances socioculturelles ; de ce fait, la valorisation des actifs immatériels demeure un défi pour les acteurs. En outre, la tarification élevée pour la protection des créations et des brevets, constitue un réel handicap pour les jeunes créateurs de startups, qui sont avant tout confrontés à un problème de financement de leurs projets.
La question de l’intégration des TIC au cœur du cadre législatif
La deuxième journée du Forum Dakar LegalTech fût aussi fructueuse en échanges. Elle a permis d’aborder des sujets tels que la réglementation des TIC en Afrique, la digitalisation des procédures administratives et judiciaires et les « smart contract et l’intelligence artificielle ».
Sur la question de la réglementation, il a été relevé que les TIC disposent d’une longueur d’avance considérable sur le cadre réglementaire. Concernant cette difficulté, quel rôle peut alors être joué par les juristes pour réduire ce gap, quand on sait qu’eux même peinent à suivre l’avancée de la technologie et à cerner toutes les ramifications liées à la question ?
Dans le même ordre d’idées, il a aussi été question du niveau des parlementaires en Afrique, qui présentent souvent une maîtrise nuancée des problématiques du numérique ; d’où la difficulté de disposer d’un cadre juridique adapté aux besoins et à l’évolution du secteur.
Par ailleurs, la dématérialisation des procédures administratives et judiciaires constitue un réel défi. Rien que l’accès aux documents administratifs relève d’un parcours du combattant pour les citoyens, alors qu’une dématérialisation des procédures permettrait une économie considérable en temps et en argent pour l’usager du service public.
Le panel qui a mis fin au forum a porté sur les « smart contracts et l’intelligence artificielle ». Le contrat constitue un élément central en matière de droit. Ainsi, l’intelligence artificielle, à travers la blockchain, a permis de faciliter leur élaboration. Cependant cette évolution pose un problème « d’existence » ou de « légitimité » des acteurs tels que les avocats, les notaires et les huissiers, qui se retrouveraient relégués au second plan, au profit de la technologie.
Dakar LegalTech Forum a baissé ses rideaux sur une note de satisfaction de tous les participants, mais aussi sur une multitude de questionnements et de perspectives. Si le numérique est devenu indissociable du droit, il subsiste beaucoup de paramètres, dont leur prise en compte est importante.
La Legaltech en Afrique a certes de beaux jours devant elle, mais elle devra apporter les réformes nécessaires à son évolution. Il s’agit entre autres de défis structurels, infrastructurels, sécuritaires, et socio-anthropologiques.
Rendez-vous est pris en 2020 pour la deuxième Edition du Dakar LegalTech Forum, pour la poursuite des réflexions scientifiques.
Garmy SOW